J’ai une passion pas si cachée pour le mal de dos. J’en avais même fait un sujet lors de ma formation au métier d’éducateur, c’est vous dire. À cette occasion, j’ai décidé de m’entretenir avec une professionnelle de santé afin de mettre en lumière les interactions évidentes entre le sport et la santé.
On parle souvent du mal de dos ou “des maux du dos” comme quelque chose de très commun à notre époque (“mal de dos, le mal du siècle ?”). Tu vois des centaines de personnes chaque année dans ton cabinet de kinésithérapie, est-ce que c’est un constat que tu partages ?
Oui, complètement. Les mots du dos, nous les appelons “lombalgie” dans notre domaine, il s’agit de douleurs lombaires. Dans mon cabinet, cela représente au moins trente pour cent de la patientèle. Il en est de même pour mes collègues. C’est quelque chose d’hyper fréquent. Toutefois, c’est loin d’être une fatalité si la prise en charge se fait rapidement.
Est-ce qu’il existe des catégories de personnes plus exposées que d’autres à ces problèmes de dos ou est-ce notre mode de vie qui est générateur de problèmes ?
Je dirais que c’est plutôt… multifactoriel. Il y a des catégories socio-professionnelles plus exposées à des contraintes qui favorisent les problèmes de dos : les maçons, les peintres, les agents d’entretien qui ont des contraintes majeures. Depuis que la COVID est entrée dans notre vie, la sédentarisation des populations s’est accrue notamment par le recours au télétravail massif et cela a eu pour effet de provoquer une augmentation de la proportion des lombalgies au sein de mon cabinet. À ce sujet, les études ont prouvé que la sédentarité qui est ancrée dans le mode de vie de la plupart des Français est un facteur de risque majeur de déclenchement des lombalgies ou accru les risques d’être confronté à ces maux du dos au moins une fois dans sa vie.
Est-ce que la pandémie de 2020 et la sédentarité accrue, ont modifié le profil des personnes qui viennent te consulter ?
En santé, on évite de faire des généralités. Toutefois, j’ai noté que ma patientèle avait évolué durant la pandémie. Parmi les personnes que j’ai reçues, il y a des actifs qui jusque-là travaillaient dans un environnement de bureau et qui, avec le télétravail, se sont retrouvés à leur domicile. Confrontés à un confort différent, à des équipements pas toujours adaptés, les consultations ont révélé des troubles musculosquelettiques, particulièrement localisées au niveau du dos alors que ce n’étaient pas des publics qui venaient en consultation de façon spécifique pour aborder ce sujet.
J’entends fréquemment “je ne préfère pas bouger… car j’ai mal au dos”, “je me suis fait un tour de rein”, “surtout ne porte pas d’objet lourd” ? Aujourd’hui, est-ce qu’il existe des idées reçues, des a priori ou des croyances limitantes par rapport à nos problèmes de dos ?
Cela fait des années que, nous, professionnels de santé, luttons contre l’idée reçue que lorsqu’il y a un mal de dos il faut le soigner par le repos. Or, c’est complètement l’inverse. Aujourd’hui, la haute autorité de santé (H.A.S) recommande que la lombalgie soit soignée par le mouvement. C’est l’essence même de mon travail, redonner de la mobilité à la colonne vertébrale, sans douleur et ensuite de renforcer le dos de mes patients à l’aide d’exercices adaptés afin d’éviter les récidives ou la chronicisation de leurs douleurs.
Pour un sportif ou une sportive qui soulève régulièrement des charges lourdes, je pense au public des plateaux de musculation, est-ce qu’il y a de ton point de vue, des points de vigilance à l’égard de son “hygiène posturale” ?
Le port de charge lourde nécessite des précautions. En l’occurrence, cela doit être fait de façon progressive, il est hors de question de soulever une charge trop lourde sans préparation, sans échauffement et surtout sans suivi. C’est indispensable d’être encadré par un professionnel du sport qui pourra montrer précisément les gestes et les bonnes postures pour soulever ces fameuses charges.
Quels seraient les meilleurs conseils à donner à quelqu’un qui a des problèmes de dos que ce soit en termes de parcours de santé, de mode de vie et d’environnement ?
À partir du moment où les douleurs surviennent, qu’elles deviennent gênantes dans le quotidien, qu’elles sont handicapantes, le premier point est d’aller consulter un médecin. Plus la prise en charge est précoce, plus le risque de chronicisation des douleurs va diminuer. C’est donc très important de ne pas laisser le mal de dos s’installer et de voir un médecin rapidement. Généralement, à la suite du rendez-vous avec le généraliste, une fois les risques de complication grave écartés, le traitement de choix est souvent la kinésithérapie. C’est à partir de ce moment-là que les patients peuvent être amenés à me consulter. Je le redis : pour éviter les problèmes de dos, il est essentiel de bouger. La colonne vertébrale humaine n’est pas du tout faite pour rester statique. L’activité physique sera forcément la clé pour limiter les risques de douleurs et de blessures.
En complément de ce travail de mobilité, est-ce que tu penses qu’il y a d’autres aspects comme la nutrition qui peuvent avoir un bénéfice ?
Habituellement, je suggère à mes patients de se tourner vers des anti-inflammatoires naturels. Ce n’est pas dans mon domaine de compétences car en tant que kinésithérapeute, nous sommes très peu formés en nutrition et en micro nutrition. Toutefois, j’ai eu la chance de faire un stage avec un professionnel formé en micro nutrition, ce qui m’a permis de m’ouvrir à cette approche, mais ce n’est pas du tout mon domaine pour que je puisse aller directement orienter mes patients. Je vais donc plutôt les renvoyer vers des professionnels dont c’est le métier afin d’augmenter leurs chances de guérison.
Quel regard portes-tu sur le métier de coach sportif et est-ce qu’il existe selon toi une complémentarité entre nos deux métiers (kinésithérapeute et éducateur sportif) ?
Nos métiers sont hyper-complémentaires. Je travaille déjà avec plusieurs professionnels de santé et je trouve intéressant de s’ouvrir à de la complémentarité avec les professionnels du sport. En tant que kinésithérapeute, je traite des patients, des personnes malades avec le but professionnel de les soigner et les éduquer à avoir une hygiène de vie qui leur permettra de ne consulter pour les douleurs qui les ont conduites jusqu’à mon cabinet. Alors que toi, en tant que professionnel du sport, ton rôle est de suivre des personnes saines, sans douleurs, pour éviter qu’elles passent par un cabinet de kiné, ce qui n’est pas toujours agréable (rires). Tu interviens aussi sur un rôle de suivi auprès de personnes qui ont pu avoir des douleurs et qui souhaitent mettre en application les conseils qu’un kiné dans un cadre sécuritaire avec un professionnel du sport qui connaît le fonctionnement du corps et qui saura les guider.
Quels sont tes arguments en faveur de la pratique d’activité physique (renforcement ou musculation) auprès de personnes qui seraient réticentes ?
C’est effectivement hyper important de travailler son dos, notamment parce que c’est un trouble majeur qu’on retrouve actuellement dans la population générale.
À partir d’un même exercice, il faut envisager des variations. On peut créer des modulations et faire varier les possibilités de travail. Il n’y a pas que le banc à lombaire pour faire travailler cette zone. Quand on fait un squat, on renforce son dos ! Il faut penser à être créatif et garder en tête que c’est important de travailler des muscles différents et complémentaires.
Si il faut bien retenir quelque chose de notre échange, mon “take home message”, c’est-à-dire le message clé à retenir, serait celui-ci : Les maux du dos sont quelque chose de commun. J’en croise tous les jours au cabinet. On connait tous quelqu’un qui a des problèmes de dos. Les études tendent à penser que la totalité de la population aura mal au dos au moins un jour dans sa vie. Souvent, ce mal est bénin, mais cela nécessite une prise en charge par des professionnels de santé pour éviter les récidives. Pour prévenir ces douleurs, rien de mieux que l’activité physique quelle qu’elle soit. Le travail en salle de fitness peut être intéressant, tout autant que la marche rapide, l’équitation, le golf, la natation ou n’importe quelle autre activité qui fait intervenir les masses musculaires du dos et ce, dans le cadre de la prévention.